Chapitre XII

Le Mont-Saint-Michel
au péril des hommes du parti de la mer

p. 244, 245 & 246

La preuve de l'incontournable rétablissement

Le niveau de la mer au Mont n'intéresse pas les tenants du rétablissement, effet de serre fecit ou non. Il n'a jamais été envisagé d'installer un marégraphe. Inutile à la navigation, il ne servirait en rien à la science hydrographique. Il ne serait capable en tout état de cause de ne mesurer au droit du Mont que les seules marées hautes de coefficient supérieur à 90 et encore. Par contre, un outil se révèle essentiel à la marche en avant du parti de la mer : la maquette de modélisation physique de la baie. Détournée de sa finalité marémotrice initiale, elle s'est retournée vers une « ardente obligation vasomotrice ». Il lui faut désormais évaluer d'une part, à quelle date la mer inéluctablement ne viendra plus lécher l'embase du Mont, d'autre part, quel type d'ouvrage de génie civil permettra d'interdire à Tellus de l'emporter sur Neptunus. L'axiome d'un envasement irrépressible de la baie est posé. D'un côté, les apports alluvionnaires du réseau fluvial (Sée, Sélune et Couesnon principalement) sont incoercibles. De l'autre, le régime semi-diurne de la marée est soumis à des mouvements inégaux : le flux sur cinq heures trente engendre un courant de plus forte vigueur que celui du reflux qui dure une heure vingt de plus ; il provoque ainsi une consolidation naturellement irréversible des alluvions fluviales sur l'estran montois.
Face à la nature inhumaine des éléments, un syndrome atténué de l'effet panique se fait jour. L'influence de l'émotion sur le ­processus de décision conduit l'homo politicus à agir irrationnellement là où la théorie comportementale prédictive postule sa rationalité. Là où un raisonnement logique devait être conduit, la possibilité de neutraliser l'effet pervers du marnage asymétrique et par suite, de « rétablir le caractère maritime » du Mont, ne reçoit pas le commencement du début d'une réflexion. L'exploitation de la tangue pouvait être relancée pour le bienfait de l'agriculture européenne avec des méthodes modernes de dragage adaptées à la topographie de l'estran et aux contraintes du transport maritime. Cette voie n'est pas même explorée. La possibilité d'atténuer la force du courant de flux en absorbant une partie de son énergie pour inverser le mouvement irrépressible de sédimentation méritait également d'être envisagée. Sachant que ce courant vient de l'ouest et que celui de reflux repart par le nord, un barrage marémoteur dynamique, établi en épi entre la pointe du Grouin du Sud et Chausey pouvait peut-être répondre à la question tout en fournissant de l'énergie durable. Et si un tel ouvrage est considéré comme incongru, pourquoi sur le même axe -avec une efficacité moindre certes- une chaîne immergée d'hydroliennes ne serait-elle pas déployée ? Au moins, ces investissements s'autofinanceraient grâce à leur production d'énergie électrique. Ils démontreraient que face au génie de l'homme, l'effort du contribuable est inutile et la force de l'océan vaine. Cette approche n'est pas évoquée. Un regard pragmatique de Luxembourgeoise n'est pas dans l'ordre du raisonnement de la culture cartésienne. Tout comme la réflexion conduite en 2005 par l'Américaine Angela Davis sur le simple jeu de l'élévation naturelle du niveau de la mer :
« While much of the world worries about how to stop sea levels rising, engineers in this corner of France want to spend $ 260 million to do the opposite: raise the tides back up to save a national treasure... »