Chapitre XI

Le Mont-Saint-Michel
au péril des hommes du parti de la terre

p. 221 & 222

La baie du Mont-Saint-Michel appartient-elle au Mont ? Incontestablement. La grève, la mer et le rocher forment un tout indissociable. Face à la versatilité de l'écrin tantôt terrestre, tantôt maritime qui entoure le Mont, le fier État se donne la mission d'intervenir pour domestiquer la nature. L'objectif politique varie d'une époque à l'autre. Tantôt le parti de la terre l'emporte, tantôt le parti de la mer. Chez l'un comme chez l'autre, le goût est aux grands travaux. Une affaire d'alternance, disons de mimesis maréfactrice. Tout observateur diagnostique dans ce comportement une fluctuation anormale de l'humeur, oscillant de périodes d'excitation marquées par l'irrépressible désir de replonger le Mont dans le liquide amniotique qu'est l'eau salée de la mer, à des périodes de dépression signalées par le désir de refouler la mer, de l'assécher afin d'accroître le domaine foncier pour élargir l'espace vital, le Lebensraum dont le polder et son sous-produit, le shorre de pré salé, sont les avatars. L'histoire de la baie commence par un reflux de la marée suivi pour l'heure, d'un flux.
Pendant des siècles le parti de la terre l'emporte. Quand Louis XI fonde le 1er août 1469 « l'Ordre et aimable compagnie de monsieur saint Michel », il lui donne, selon Jacques-François Boudent-Godelinière, pour devise, celle du Mont-Saint-Michel : « Immensi Tremor Oceani », terreur de l'océan sans limites. Cette saine crainte explique le comportement des populations locales. Le constat fait par les agriculteurs du littoral breton de la baie est sans appel. Dès lors que les alluvions telluriques et marines mélangées sont déssalées, elles deviennent un remarquable substrat pour les cultures vivrières. Tout comme au Pays-Bas, il ne s'agit pas de déplacer ces riches terreaux en les transportant au-dessus des plus hautes eaux maritimes. Il s'agit de les garder in situ, enfermés derrière de hauts murs à l'abri d'une submersion océanique salée. Les premiers travaux d'endiguement sont engagés à la fin du premier millénaire et bâtissent le marais de Dol, fameux pour ses potagers exubérants et ses légumes savoureux qui font la richesse du pays. La splendide cathédrale de Dol est le témoignage de l'opulence de la région qu'aucune autre partie de la Bretagne n'égale.