La marée dans la baie du Mont-Saint-Michel
et les chasses du barrage du Couesnon


Marcher dans la baie, c’est comprendre comment le rythme des marées commande les horaires pendant lesquels il est possible de s’aventurer sans risque sur l’estran (portion du littoral entre les plus hautes et les plus basses mers).
Bonne traversée !

La marée dans la baie du Mont-Saint-Michel

La marée est un pur produit de la loi de l’attraction universelle. Elle est générée sur l’océan par la Lune et le Soleil. L'interaction gravitationnelle des deux astres est favorisée ou contrariée en fonction de leurs positions relatives.
Le marnage (dénivellation entre la pleine mer et la basse mer) est conditionné par les phases de la Lune. Il est minimal par « morte-eau » (premier et dernier quartiers quand la Lune est en quadrature avec le Soleil). Il est maximal par « vive-eau » (pleine lune et nouvelle lune quand la Lune et le Soleil sont alignés avec la Terre). Les marées de nouvelle lune sont toujours plus fortes que celles de pleine lune. Le «  rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel » (pardonnez cette expression fausse en langue officielle de bois naturel !) n’a de réalité qu'au moment des pleines mers des marées les plus hautes de nouvelle lune. Les marées les plus faibles de l’année se produisent normalement aux solstices d’hiver et d’été, les plus fortes aux équinoxes de printemps et d’automne.
lunaison
Le marégramme ci-dessus s’étend sur un cycle lunaire complet (lunaison). D’un cycle à l’autre, les positions relatives des trois astres Soleil, Lune et Terre varient. En conséquence, les amplitudes et horaires de la marée ne se répètent pas à l’identique. Tous les 6 585,32 jours (18 ans et 10 jours), période appelée « saros », la même conjonction astrale se répète et amène le retour d’un cycle de marées presque identique.
L’intervalle de temps entre deux mêmes phases, dit « lunaison », est en moyenne approximativement de vingt-neuf jours et demi. Sur une demie lunaison légèrement inférieure à quinze jours, l’amplitude de marée passe par un maximum (vive-eau) et par un minimum (morte-eau) qui interviennent avec un retard par rapport aux phases de la Lune, dit « âge de la marée ».
Le coefficient de marée est calculé par des algorithmes établis par le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). Il indique l’amplitude du marnage. Il varie de 20 (plus basse mer astronomique) à 120 (plus haute mer astronomique). Le coefficient moyen est 70, celui d’une morte-eau moyenne 45, celui d’une vive-eau moyenne 95. Le coefficient minimal qui peut permettre à la mer d’entourer le Mont-Saint-Michel (période de « rétablissement du caractère maritime ») est 108. Le coefficient minimal qui permet à la mer de lécher le rocher du Mont-Saint-Michel est 70.
La marée monte plus vite qu’elle ne descend. La durée du flot (mer montante) varie de cinq heures un quart à six heures. La durée du jusant (mer descendante) varie de six heures trois quarts à sept heures un quart.
Dans la baie du Mont-Saint-Michel, la plus haute mer astronomique est de 14,86 m au-dessus du zéro hydrographique (zéro des cartes marines) et le marnage peut alors atteindre les 14,75 m.
maregraphe
Ce schéma récapitulatif de la marée au Mont-Saint-Michel et à Saint-Malo, port hydrographique de référence, permet de visualiser les niveaux caractéristiques de la mer. Les chiffres en bleu indiquent les coefficients de marée auxquels les niveaux sont atteints par la mer. Le Zéro hydrographique du Mont-Saint-Michel se situe à 0,451 m en-dessous du Zéro hydrographique de Saint-Malo.

Glossaire

Acronymes

Significations

SHOM

Service hydrographique et océanographique de la Marine

PHMA

Niveau des plus hautes mers astronomiques

PMVE

Niveau des pleines mers de vives-eaux

PMME

Niveau des pleines mers de mortes-eaux

NM

Niveau moyen de la mer

BMME

Niveau des basses mers de mortes-eaux

BMVE

Niveau des basses mers de vives-eaux

PBMA

Niveau des plus basses mers astronomiques

ZH

Zéro hydrographique

MSM

Mont-Saint-Michel

RCM

Rétablissement du caractère maritime

NMC

Niveau maximal du Couesnon

MCM

Mer au contact du Mont

NSBC

Niveau du seuil du barrage du Couesnon

Aux mouvements des marées prédits avec une précision reconnue pour une pression barométrique normale de 1 016 hectopascals et un vent nul, se superposent des variations de hauteur et d’horaire d'origine météorologique, appelées surcotes et décotes. Une haute pression barométrique (anticyclone) abaisse le niveau de la mer, retarde l’heure de l’étale de basse mer et avance l’heure de l’étale de haute mer. Une basse pression barométrique (dépression) a les effets inverses. Cet effet est d’un centimètre par hectopascal. Il peut modifier le niveau de la haute mer au Mont de plusieurs dizaines de centimètres, jusqu’à un mètre de plus au passage d’une dépression à caractère cyclonique.
De même, le régime des vents modifie le régime des marées. Par vent de secteur Est à Sud, l’eau est chassée de la baie et abaisse le niveau de la mer sans incidence sur les horaires de marée. Par vent de secteur Ouest à Nord, l’eau est au contraire poussée dans la baie. Cet effet peut aller par très fort vent jusqu'à un mètre. Les vents forts de Sud-Ouest à Nord-Ouest se conjuguent en général avec un régime dépressionnaire profond. Il en résulte que les surcotes des deux facteurs peuvent alors s’additionner.
Le risque pour le pèlerin se situe à marée montante. Sa prudence et son confort l’invitent à renoncer à une traversée de la baie par régime dépressionnaire profond.

Les chasses du barrage du Couesnon

L’accès au Mont par la traversée à pied de la baie est possible à toutes les marées basses diurnes. Le « rétablissement du caractère maritime » qui qualifie les travaux titanesques effectués ces dernières années autour du Mont, n’entrave en rien cette possibilité. Toutefois, comme le nouveau barrage du Couesnon lâche son eau dans la baie au rythme de la marée, à des moments où les pèlerins sont potentiellement en mesure de traverser la baie à pied et de se heurter au flot de sa chasse, un commentaire détaillé s'avère nécessaire.
Le barrage n'a pas de partie fixe. Il est constitué de portes pivotantes alignées. La fabrication d'énergie renouvelable lui est étrangère. L'énergie qui s'y accumule est destinée à chasser vers la haute mer les sédiments que la baie engrange au fil de siècles d'érosion continentale.
Le barrage retient et relâche des eaux stockées dans l'anse de Moidrey, aménagée à cet effet. Après travaux, la capacité de stockage initiale atteint 1,4 million de m3 d’eau en grande marée et 1,1 million en moyenne. Celle-ci est alimentée en amont, en permanence par le cours du Couesnon et en aval, à marée suffisamment haute, par la mer. Le barrage du Couesnon abaisse ses vannes pour faire entrer les eaux superficielles par « surverse ». Ces eaux sont moins chargées en vase et sable en suspension que les eaux de fond. Le remplissage par l'aval ne peut commencer à marée montante que si le niveau de la mer est supérieur à celui du barrage. Elles risquent moins d'apporter des matériaux pour combler un peu plus à chaque marée l'anse du Moidrey.
Cette manœuvre n'est possible que par coefficient de marée supérieur à 50. En 2016, sur 707 cycles de marée, 135 sont d'un coefficient inférieur à 50 soit près de 20 %. Cette loi naturelle limite l'efficacité potentielle des chasses du barrage et en conséquence, les éventuels inconvénients pour les pèlerins qui traversent la baie.
Par coefficient supérieur à 50, il est indispensable d'arrêter le remplissage de l'anse de Moidrey par l'aval dans le cas où le débit du Couesnon et celui additionné de la mer fait monter le niveau du barrage à 12,74 m (hauteur correspondant à 12,06 m à Saint-Malo). En effet, au-dessus de 13,36 m (hauteur correspondant à 12,43 m à Saint-Malo), les polders dolois sont en péril de submersion marine.
Le débit du Couesnon peut varier de 2 m3/s en période d’étiage à 100 m3/s lors d’une crue centennale. Le remplissage par l'aval de l'anse de Moidrey est arrêté en cas de crue du Couesnon, à partir d'un débit de 30 m3/s. Jusqu'à 40 m3/s, le barrage continue à effectuer ses chasses dans la baie sans apport complémentaire d'eau de mer. Pour un débit supérieur à 40 m3/s, les chasses d'eau sont arrêtées, les vannes du barrage sont maintenues ouvertes pour évacuer les eaux du Couesnon tant que le niveau dans l'anse du Moidrey reste supérieur à celui de la mer.
Dans des conditions normales, une heure et demie après la marée haute, les vannes sont fermées pour garder l'eau dans l'anse du Moidrey que seul le Couesnon continue à remplir. Six heures après la marée haute, les vannes s'ouvrent progressivement et la chasse d'eau dure d'une demi-heure à trois heures. Pendant les marées de vive-eau, le volume de la chasse peut atteindre au maximum 1 000 000 m3 avec un débit de 100 m3/s. L'anse de Moidrey, draguée au niveau du seuil du barrage, ne peut être asséchée pour éviter de porter préjudice à l'écosystème aquatique. Pendant les marées de morte-eau, le volume moyen de la chasse attendu est de 200 000 m3 et dépend du régime de pluie sur le bassin du Couesnon.
L'équilibre entre l'amont et l'aval du barrage est obtenu en laissant à marée haute les vannes ouvertes pour laisser passer les poissons amphihalins (dont le cycle de vie alterne entre les eaux salées et les eaux douces). Le comportement de ces poissons (anguilles, saumons, mulets, aloses…) est réglé sur l'horloge des marées. Ils viennent à la côte avec le flot et s'en éloigne avec le reflux.
Le page « Remplissages et lâchers d'eau du barrage » du site web de l'opération de « rétablissement du caractère maritime » donne plus d'information sur le barrage en développant les seuls aspects techniques de l'ingénierie et du fonctionnement. À la date de publication (10 mai 2016), malgré la politique de transparence des autorités publiques en France, aucune étude coût-efficacité sur la capacité opérationnelle réelle du barrage pour évacuer les sédiments au large et prévenir l'ensablement du Mont-Saint-Michel, n'a été rendue publique alors que le barrage est en service depuis sept ans (mai 2009).

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Afin de déterminer les périodes pendant lesquelles le pèlerin peut se rendre à pied sur l’estran au Mont-Saint-Michel par la voie nord en sécurité, deux cas de marées-types de vive-eau et de morte-eau sont analysés ci-dessous. La durée de traversée prise en compte est celle d’une marche paisible sans halte d’une heure trente. Elle peut être prolongée dès lors qu’il en est tenu compte pour les horaires de traversée en phase de flot (marée montante).
Il n’y a pas de marégraphe installé au Mont-Saint-Michel. Et pour cause. Comment mesurer le niveau de la mer au droit du Mont quand, lors des plus basses mers astronomiques, celle-ci se retire jusqu’à 15 km au large et que son niveau se retrouve 11,20 m plus bas que le rivage du rocher ? En conséquence, il est impossible de dessiner un marégramme propre au Mont. Aussi ceux qui illustrent cet article sont-ils relatifs au port de Saint-Malo, port de référence du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) pour la région, doté depuis 2003 d’un marégraphe côtier numérique.
 
Cas d’une marée de vive-eau

La nouvelle lune du 7 avril 2016 à 11 h 24 engendre la pleine mer d’une marée de coefficient 118 le 8 avril à 21 h 07. L’âge de cette marée de vive-eau au Mont-Saint-Michel est ce jour-là de 1 jour, 9 heures et 43 minutes.
lunaisonVE Légende :
Point A : 17 h 10 - heure à laquelle, il n’est plus possible de s’engager dans une traversée de la baie.
Point B : 18 h 40 - heure à laquelle, il faut avoir rallié les rivages de la baie ou du Mont.
Point C : 10 h 45 - heure à laquelle il est possible de s’engager dans une traversée de la baie sans être bloqué par une rivière trop grosse, mais une marche trop hâtive peut conduire les adultes à traverser le gué des fleuves Sée et Sélune, l’eau à la ceinture.
Ce marégramme permet de constater que seule, la marée basse de l’après-midi ouvre une fenêtre d’opportunité pour traverser la baie à pied par la voie nord.
Compte tenu du coefficient de marée, le Mont-Saint-Michel est entouré d’eau pendant deux périodes, le matin de 08 h 12 à 09 h 08 et le soir de 20 h 33 à 21 h 29. Le coucher du soleil est à 20 h 47 ; la nuit tombe à 21 h 20 (en savoir plus).
À la marée descendante, la chasse du barrage (dont l’horaire est porté en rouge dégradé sur le diagramme) va lâcher, à raison de 100 m3/s, un volume d’eau d'un million de m3 si les conditions hydrographiques du Couesnon sont bonnes .
chasse
13 août 2010 - 17 h 22 : cette photo est prise à l’étale de la basse mer d’une marée de coefficient 109 (17 h 16 à Saint-Malo). Ces jeunes font demi-tour à 50 m du Mont, ne pouvant y accéder en raison de la chasse du barrage. À cette date, le barrage était en activité et la digue insubmersible existait encore. Le Couesnon coulait en un seul et vaste méandre juste au nord du Mont d'ouest en est, avant de repartir vers l'ouest d’où la force du courant et la hauteur d’eau avant de faire demi tour plus au nord. Depuis 2013, le fleuve se divise en deux bras est et ouest pour encercler le Mont. La force du courant près du Mont est divisée par deux.

5 juin 2016 - 14 h 54 : Ce reportage est tourné dans des conditions périlleuses par le cameraman sept heures après la pleine-mer de 07 h 53. Il donne une idée de la nature du courant induit dans le bras oriental artificiel du Couesnon par la chasse en cours du barrage chargé d’eau par le fort débit du fleuve, alimenté par le régime pluvial important du début juin, lors d'une marée de coefficient 102 (hauteur à Saint-Malo : 12,30 m). Le lâcher d’eau n’empêche pas un groupe de jeunes gens, aguerris par l'âge, de traverser malgré les obstacles pierreux, dissimulés dans l'eau boueuse, qui jonchent le lit du fleuve artificiel, bien visibles sur la vidéo suivante.

Cas d’une marée de morte-eau

Le dernier quartier du 1er février 2016 à 04 h 29 engendre la pleine mer d’une marée de coefficient 34 le 3 février à 01 h 42. L’âge de cette marée de morte-eau au Mont-Saint-Michel est ce jour-là de 1 jour, 23 heures et 13 minutes.
lunaisonVE Légende :
Point A : 09 h 50 - heure à laquelle, il n’est plus possible de s’engager dans une traversée de la baie.
Point B : 13 h 00 - heure à laquelle, il faut avoir rallié les rivages de la baie ou du Mont.
Point C : 14 h 30 - heure à laquelle il est possible de s’engager dans une traversée de la baie sans être bloqué par une rivière trop grosse, mais une marche trop hâtive peut conduire les adultes à traverser le gué des fleuves Sée et Sélune, l’eau à la ceinture.
Ce marégramme permet de constater que par morte-eau, la fenêtre d’une traversée de la baie à pied par la voie nord s’ouvre tôt le matin et se ferme avant dix heures.
Compte tenu du faible coefficient de marée, la mer n’atteint pas le Mont-Saint-Michel à marée haute. Le rétablissement de son caractère maritime se situe ce jour-là dans le domaine du rêve.
Le niveau de la mer à la pleine mer reste inférieur à celui du niveau du Couesnon dans l'anse de Moidrey. Celle-ci n'est donc alimentée que par le fleuve. Au mois de février, le régime des pluies conduit à escompter un débit moyen de 12 m3/s. En été, période d’étiage, le débit du fleuve est beaucoup plus faible.
Six heures après la pleine mer, les vannes s’ouvrent, mais la chasse d’eau n’a pas de capacité réelle d'évacuation des sédiments. Son volume atteint au mieux 200 000 m3. La traversée à gué du Couesnon au moment de la chasse est une formalité moins contraignante que celle des fleuves Sée et Sélune. Le pèlerin s’est déjà trempé dans les eaux de leur estuaire commun. Il est amariné quand il aborde la rive nord du bras artificiel oriental du Couesnon.

18 juillet 2015 - 16 h 48 : Ce court-métrage panoramique est tourné sept heures vingt après la pleine-mer de 09 h 28. Il donne une idée de la nature du courant induit dans le bras oriental artificiel du Couesnon par la chasse en cours du barrage chargé d’eau, lors d'une marée de coefficient 85 (hauteur à Saint-Malo : 11,55 m). Le lâcher d’eau, censé évacuer les sédiments vers la haute mer, n’empêche ni un groupe conduit par un guide de le traverser, ni la prise de vues par le cameraman, obligé de le franchir pour filmer.
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2 août 2017 - 10 h 10 : Cette photographie est prise huit heures vingt après la pleine-mer de 01 h 50. Elle montre l’absence d'eau dans le bras oriental artificiel du Couesnon lors d’une marée de coefficient 40 (hauteur à Saint-Malo : 9,10 m) alors qu’aucune chasse du barrage n’a eu lieu, la haute mer n’atteignant pas le seuil du barrage et le Couesnon étant en étiage en raison de la sécheresse qui sévit en Bretagne. On constate sur cette vue qu'en deux ans, malgré environ sept cents lâchers d’eau du barrage du Couesnon, la topographie des lieux et l’altimétrie de l’estran au droit du Mont restent inchangées. Aucune douve n’a été creusée par ces chasses autour du rocher.

Ce document a été rédigé sous la seule responsabilité de l'éditeur avec des documents fournis par le SHOM et plus particulièrement avec « L'Ouvrage de marée - Références Altimétriques Maritimes - Cotes du zéro hydrographique et niveaux caractéristiques de la marée » Édition 2012.

 
 
                     Le Siècle volage