« Sur le Chemin de Jérusalem borné par saint Michel »
Germaine Wecker

Addendum 2018 à
« Le Mont-Saint-Michel au péril de l’homme »

L’incendie de la charpente de l’abbaye Saint-Michel-de-la-Cluse ou de la Sacra di San Michele, survenu le 24 janvier 2018, m’a fait découvrir ce que je subodorais, mais dont je n’avais pas connaissance quand j’ai rédigé « Le Mont-Saint-Michel au péril de l’homme ». Voici ce que j’écrivais :
« La chronique rapporte les premiers pèlerinages au IXe siècle. Les premières traces écrites conservées nous informent qu’un moine franc, prénommé Bernard, au retour d’un voyage au mont Gargano, à Jérusalem et à Rome, se rend au Mont en 867-868. Ratbert est le premier pénitent connu. Matricide de la seconde moitié du IXe siècle, originaire de la Brie près de Melun, il est emprisonné jusqu’à ce qu’il tombe malade. Il est alors élargi moyennant l’engagement d’effectuer un pèlerinage passant par Rome après avoir visité plusieurs sanctuaires dont celui de saint Michel. L’époque voit s’ouvrir la via sacra langobardorum (voie sacrée des Lombards) dans le sens nord sud et la via francigena dans le sens sud nord. Cet itinéraire relie Monte Sant’Angelo au Mont-Saint-Michel. Il passe par l’abbaye de San Michele in Isola in periculo maris adriatici dans la lagune de Venise fondée au Xe siècle, par l’abbaye de la Sacra di San Michele, fondée en 999 au sommet du mont Pirchiriano à l’entrée du val de Suse dans le Piémont, puis par l’abbaye Saint-Michel de la Meuse (aujourd’hui Saint-Mihiel) dont la fondation en 709 coïncide avec celle du Mont-Saint-Michel. Le culte archangélique se poursuit sur cet axe transeuropéen vers les îles britanniques. Deux monuments michelots renommés y sont construits. L’abbaye de Saint-Michel de Cornouailles, un temps prieuré du Mont-Saint-Michel, est une réplique du Mont-Saint-Michel édifiée sur un îlot de granit accessible par une chaussée submersible à marée basse dans Mount’s Bay face à Penzance. L’étonnante grande Skellig, rocher d’extrême occident, est située dans l’océan Atlantique au large du comté de Kerry. Son monastère fondé au début du VIe siècle par saint Fionán est dédié au milieu du Xe siècle à saint Michel sous le nom gaélique de Sceilig Mhichíl. »
(pages 53 & 54)

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Ce que je subodorais était que l’appétit de légendes de l’espèce humaine ne s’était pas tari avec le récit merveilleux de la forêt de Scissy, victime d’un tsunami, et du pauvre crâne de saint Aubert percé par le doigt de l’archange. Le chemin des pèlerinages michaèliques que nous fait redécouvrir une carte postale achetée à la Sacra di San Michele, part du nord-ouest de l’Europe droit vers le sud-est pour atterrir à Jérusalem. Il va de la grande Skellig où se situe le monastère de Sceilig Mhichíl, continue par Saint-Michael’s Mount, le Mont-Saint-Michel, la Sacra di San Michele, le Monte Sant’Angelo où les émissaires de saint Aubert, fondateur du Mont-Saint-Michel, étaient, paraît-il, allés chercher des reliques. L’itinéraire se poursuit vers le sud-est à Symi, île du Dodécanèse grec où saint Michel est particulièrement honoré, plus particulièrement dans le monastère orthodoxe de l’archange Michel Panormitis (Αρχαγγέλου Μιχαλης Πανορμιτης) qui s’enorgueillit de posséder la plus haute statue de l’archange en pied. Continuant sa traversée de la Méditerranée, l’axe michaèlique aboutirait à Jérusalem en passant par le Mont Carmel.
À l’exception du Monte Sant’Angelo et de Sceilig Mhichíl, tous ces sites répertoriés sont postérieurs à la prise de Jérusalem en 637 par les Musulmans. C’est alors que s’arrête le flux de pèlerins vers Jérusalem qu’avait initié sainte Hélène en 326 à la demande de son fils Constantin. Le culte de saint Michel et les pèlerinages michaèliques vont prendre alors le relais jusqu’à ce que celui de saint Jacques à Compostelle le concurrence à partir de la fin du IXe siècle, le tombeau de saint Jacques ayant été redécouvert en 828.
Quant à l’alignement « mystérieux » des sites michaèliques illustré par ce montage cartographique, il ne faut pas y chercher le moindre sens comme certains le souhaiteraient. Cette ligne droite n’existe que par la projection cartographique retenue. Ce tracé ne se superpose d’ailleurs pas avec un grand cercle. Les sites michaèliques européens sont si nombreux en Europe qu’il faut un arbitrage sévère pour n’en garder que sept et obtenir une ligne magique (?). La via francigena qui permet d’aller de Monte Sant’Angelo au Mont-Saint-Michel par la Sacra di San Michele, présente bien des variantes selon les sites dédiés à saint Michel que le pèlerin veut visiter sur sa route. Ne discutons pas de cette absurdité qui veut que « la ligne sacrée s’aligne parfaitement avec le coucher de soleil, le jour du solstice d’été ». La perfection n’est pas de ce monde. Certes l'azimut ainsi tracé, si la carte est une projection Mercator, peut être celui du soleil couchant le jour du solstice d’été, mais à une latitude bien déterminée du parcours et non en tout point de celui-ci.
Echternach, le 12 novembre 2018

                     Le Siècle volage